vendredi 27 décembre 2013



LOÏC LANTOINE - FUNAMBULE


Je suis pas funambule
Je brave pas la mort
Je souffle dans les bulles
Et je crie quand ça mord

Je peux pas faire vainqueur
Jamais c'est moi la flamme
Je drague le bonheur
Je dis bonjour Madame

C'est pas moi qui résonne
Je n'ai pas peur de rien
Je connais pas personne
Et je vis chez les miens

Je tire pas le premier
Je promets pas promis
Je compte pas les billets
J'ai jamais rien fini

J'suis pas sur la photo
Moi je sais pas danser
Je vais en mêlée mollo
Quand j'ai les mains mouillées

Je rentre pas dedans
Parce que tout m'impressionne
Moi j'ai pas trente-deux dents
Moi j'aime ce qu'on me donne

J'ai le mot juste après
Je vis de mes erreurs
Je l'ai pas fait exprès
Je vide mes horreurs

J'suis planqué dans la ronde
C'est pas moi qui conduis
Je change pas le monde
J'ai rien contre ma vie


Extrait de l'album J'AI CHANGÉ (2013)

samedi 6 avril 2013

Photo de Claude Gassian


FRANCIS CABREL - LA CORRIDA


Depuis le temps que je patiente
Dans cette chambre noire
J'entends qu'on s'amuse et qu'on chante
Au bout du couloir ;
Quelqu'un a touché le verrou
Et j'ai plongé vers le grand jour
J'ai vu les fanfares, les barrières
Et les gens autour

Dans les premiers moments j'ai cru
Qu'il fallait seulement se défendre
Mais cette place est sans issue
Je commence à comprendre

Ils ont refermé derrière moi
Ils ont eu peur que je recule
Je vais bien finir par l'avoir
Cette danseuse ridicule

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Andalousie je me souviens
Les prairies bordées de cactus
Je ne vais pas trembler devant
Ce pantin, ce minus !

Je vais l'attraper, lui et son chapeau
Les faire tourner comme un soleil
Ce soir la femme du torero
Dormira sur ses deux oreilles

Est-ce que ce monde est sérieux ?

J'en ai poursuivi des fantômes
Presque touché leurs ballerines
Ils ont frappé fort dans mon cou
Pour que je m'incline

Ils sortent d'où ces acrobates
Avec leurs costumes de papier ?
J'ai jamais appris à me battre
Contre des poupées

Sentir le sable sous ma tête
C'est fou comme ça peut faire du bien
J'ai prié pour que tout s'arrête
Andalousie je me souviens

Je les entends rire comme je râle
Je les vois danser comme je succombe
Je ne pensais pas qu'on puisse autant
S'amuser autour d'une tombe

Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?

Si, si hombre hombre
Baila, baila
Hay que bailar de nuevo
Y mataremos otros
Otras vidas, otros toros
Y mataremos otros
Venga, venga
Venga, venga a bailar


Extrait de l'album SAMEDI SOIR SUR LA TERRE (1994)

vendredi 5 avril 2013



CHARLES BAUDELAIRE - UNE CHAROGNE

 

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un œil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable  à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !



Extrait du recueil de poèmes LES FLEURS DU MAL (1857)

jeudi 28 avril 2011

photo : Valérie Mathilde


THOMAS FERSEN - LA BARBE BLEUE

- La Barbe Bleue, mon canard,
Qu'est-ce qu'il y a dans ton placard,
Ça sent bizarre ?

- Dans mon placard, canard,
Est-ce que j'sais ? Il y a des balais,
Il y a des seaux , des balayettes,
Des brosses et pis des nénettes,
Des plumeaux, des peaux d'chamois,
Est-ce que j'sais moi ?

- Je peux voir, dis ?

- Surtout pas, c'est interdit.

- La Barbe Bleue, mon chéri,
Qu'est-ce qu'il y a dans ta penderie,
Ça sent l'pourri ?

- Dans ma penderie, chérie,
Il y a des boules de naphtalines,
Des générations de bottines
Qui s'agglutinent,
Mes costumes en prince-de-Galles
Et mes chemises en tergal.

- J'peux r'garder, dis ?

- Sûrement pas, c'est interdit.

- La Barbe Bleue, dis pour voir,
Qu'est qu'il y a dans ton armoire ?
Il y fait noir.

- Dans mon armoire, de mémoire,
Il y a des mouchoirs de linon,
Des draps brodés à mon nom,
Des chemisettes, des tricots,
Des chaussettes, des sous-vêtements, des cravates,
Des demi-bas, des ceintures,
Des bretelles, des... des jabots, des plastrons, des...
Tu m'embêtes à la fin !



Extrait de l'album JE SUIS AU PARADIS (2011)